Vers un inventaire des perceptions
En prenant en compte le nombre d’images prises aujourd’hui dans nos sociétés à travers les appareils numériques mobiles, nous ne pouvons nier ce désir du plus grand nombre de vouloir enregistrer leurs expériences quotidiennes, ce que Stiegler (2012) va définir comme une « révolution des hypomnémata » , c’est-à-dire l’apogée des supports de mémoire externes et artificiels.
Notre objectif dans le cadre de la formation reste d'utiliser la capacité d'enregistrement et de saisie de ces appareils pour amener les futurs enseignants généralistes à sortir d’une « vision profane » * (Merleau-Ponty, 1964), de s’entraîner à observer, qu’ils passent du statut de « regardeur » à celui d’« acteur » afin de développer l’intentionnalité dans leurs diverses productions numériques. Ainsi pour Lagoutte (2015), ce que les arts visuels cherchent à travailler, c’est une vision « active », dans un but réflexif et englobant toutes les facettes de cette action, telles qu’identifier, scruter, observer. Ces différentes opérations vont permettre de développer l’intentionnalité et le pouvoir d’agir. Les appareils numériques mobiles permettent d'une part d'isoler par la fenêtre de l'écran une partie de notre perception visuelle mais aussi de s'emparer de divers sons ou encore d'enregistrer sur le moment ses réflexions souvent très volatiles.
En outre, utiliser des appareils numériques mobiles permet aux apprenants de considérer et réfléchir leurs usages quotidiens, rentrer dans ce processus attentionnel et intentionnel, entre expérience esthétique et expérience artistique, et leur donnerait les clés pour varier les conditions d’expériences futures. Dans l’enseignement en art, un des objectifs principaux reste « d’entraîner les perceptions en dehors du chemin qu’elles prennent habituellement » (Zask, 2018).
il s’agit de s’appuyer sur les connaissances vernaculaires numériques aussi bien techniques que culturelles de nos étudiants afin de leur proposer d’y porter un regard réflexif à travers diverses expériences de création appareillées en contexte de formation et qu’ils puissent ainsi se construire un regard fertile : apprendre à regarder tout simplement pour « mieux » voir et à écouter pour « mieux » entendre. Ci-dessous, voici diverses expériences de création ayant eu pour objectif d'utiliser les appareils numériques mobiles afin de procéder à un inventaire de ses perceptions. La première proposition "Épuisement d'un lieu" propose de considérer un lieu sous divers angles: visuel, sonore, impressions littéraires. Ce lieu peut être un lieu habitait quotidiennement et ainsi le travail de saisie doit amener l'apprenant à le considérer différemment. Mais il peut aussi être un lieu à découvrir et donc l'apprenant va entrer dans une démarche d'enquête. La deuxième portait sur une proposition de déambulation pendant laquelle diverses données (visuelles et sonores) se devaient d'être saisies pour rendre compte de l'expérience.
* Pour Merleau‑Ponty (1964), la « vision profane » (p. 29) s’oppose à la vision du peintre, son « troisième œil » (p. 24) né de sa pratique permettant de percevoir « le monde, et ce qui manque au monde pour être tableau » (p. 25).