Autoportrait raté
Mots-clés: relation technologies mobiles/sérendipité, Erreur et accident dans le processus de création
Man ray (1964) rapporte que lors du shooting dans un hôtel de la Place Vendôme à Paris, le fait d’allumer ses lampes pour la prise de photo provoqua une coupure de courant dans toute la maison. Il dut ainsi se contenter de la lumière naturelle de la pièce. La pose devint ainsi plus longue pour capter le maximum de lumière et la marquise, à la demande de l’artiste, posa en bougeant le moins possible sur un temps assez conséquent. Lors du développement des négatifs, les résultats se révélèrent tous flous et Man ray les mis de côté les considérant comme un échec (ibid). À l’insistance de la marquise, Man ray accepta tout de même de lui présenter les tirages. La muse et mécène de l’avant-garde du tout Paris trouva particulièrement intéressant un des tirages où sur son visage apparaissaient trois paires d’yeux et dit, selon l’artiste, cette phrase célèbre, « vous avez fait le portrait de mon âme ». Elle en commanda douze exemplaires et cette photographie floue contribua à la renommée montante de Man Ray et à présenter la photographie argentique comme médium pouvant s’inscrire dans le champ artistique avec ses propres moyens d’expression.
Ray, M. (1922). Luisa Casati [Positif argentique sur plaque de verre]. Crédit photographique : © Man Ray Trust / Adagp, Paris. Site du Centre Pompidou.
Séquence "autoportrait raté"
En prolongation des analyses de l'acte de création autour du portrait de la Marquise de Casati par Man ray et de l’automatisation des procédures des technologies mobiles, j'ai mis en place une expérience de création avec des étudiants futurs enseignants généralites au primaire. Il s'agissait de produire une série de portraits ratés qui jouait soit à déjouer l’automatisation de leurs appareils soit d'utiliser, dans une optique de butinage, les filtres disponibles de leurs smartphones. Ils devaient se laisser surprendre et arriver à en faire un protocole de création.
Ainsi, on peut se demander comment Man Ray aurait réagi avec un appareil numérique mobile. Sans aucun doute, le visionnement immédiat l’aurait convaincu de recommencer sa prise de vue jusqu’à ce qu’elle corresponde à ce qu’il attendait. Tablons que le couplage de son appareil photographique, objet technique beaucoup plus fluctuant, et de la temporalité du tirage photographique a contribué à l’existence de cette photographie.
Comme l’énonce Masure (2013) : « Dans le fonctionnement d’un appareil, quelque chose échappe à l’opérateur. Il n’est pas possible d’anticiper totalement ce que produira le fonctionnement d’un appareil : il s’y joue de l’imprévu ». Et c’est dans cet imprévu qu’apparaissent, quand on sait les saisir (sérendipité), quelques pépites créatives. Mais les dernières technologies mobiles tentent de déjouer de plus en plus ces « imprévus » en mettant en place davantage d'automatisation, diverses béquilles technologiques pour éviter la photo raté. En outre, la visualisation immédiate associée à une une capacité de mémoire particulièrement importantes de ces appareils numériques mobiles permettent d'expérimenter de nombreuses fois pour arriver à la production désirée. L'auteur entre ainsi dans une démarche par essais e erreurs. Il s'en suit une diminution de la spontanéité et de l'aléa.
Dès lors, dans une perspective d’optimiser l’implémentation des technologies mobiles dans l’enseignement des arts visuels, il semble opportun que les futurs enseignants prennent en compte ces deux principales orientations : le rapport à l’erreur et à l’accident dans ces démarches de création appareillée. Les formateurs en didactique des arts visuels doivent conduire les étudiants futurs enseignants à réfléchir aux propriétés de l’appareil mais aussi de l’application utilisée. Cette réflexion préalable vise à sonder leurs finalités, leurs fonctionnalités, pour pouvoir en jouer, les utiliser pleinement mais aussi les détourner.
Il s’agit de proposer aux étudiants (mais cela pourrait se faire aussi avec leurs élèves) des expériences de création se servant de la multitude des applications (et ainsi les associer), de leurs filtres et de se laisser surprendre par des effets imprévus. Il s’agit d’entrer dans un jeu, celui d’utiliser les menus déroulants et de passer sa production à travers le champ des possibles : il s’agit dès lors pour l’apprenant, dans une perspective de sérendipité, d’apprendre à faire des choix, de sélectionner selon sa sensibilité et une certaine clairvoyance mais aussi de savoir répéter le chemin pris pour en faire système. Ces outils ne vont pas créer de la sérendipité en tant que telle mais peuvent la favoriser si l’auteur les utilise dans une sorte de butinage visuel ou sonore qu’il va dans un second temps transformer comme protocole.
Références culturelles
autour de l'accident fertile, de l'autoportrait, et de la post-photographie
Erik Berglin, Musée de l'Elysée, Lausanne 2020.
Ray, M. (1922). Luisa Casati [Positif argentique sur plaque de verre]. Crédit photographique : © Man Ray Trust / Adagp, Paris. Site du Centre Pompidou.
Dispositif:
Entre 45 min et 1h30, cours à distance
1. Utiliser les potentialités d’un outil numérique quotidien (smartphone, tablette digitale) autant dans la production que dans la postproduction/ se laisser surprendre par l'outil ou le contourner
2.Prendre une des trouvailles et créer un protocole de création pour en faire une série d’autoportraits photographiques ratés (6 à 9 photos)
3. Les poster sur padlet
Voir quelques propositions d'étudiant.es du module BP32 (HEPVaud 2022) avec :
Ansermet J., Baudois L., Beram S., Blaser M., Bovier N., Callara L., Crettex P., De Vos N., Duarte Da Cruz M., Dumur L., Ehrbar F., Faravel G., Favre M., Festa C., Glur C., Guy A., Hornung R., Janjic D., Karameta Y., Kohli C., Legault M., Leitner Céline, Londono P., Luget J., Lybirde C., Manez E., Masserey M., Mendonça J., Muller E., Oliveira S., Paccaud K., Peguiron V., Rosselet-Christ B., Schmidt J., Schwartz D., Sirisin M., Sokolov E., Sokolov G., Terrapon L., Toumayeff G., Van de Meerssche N., Veluz A.